Maxence Cordiez - Transition énergétique : pourquoi est-ce si compliqué ?

Ceci est une transcription du podcast “Dessine-moi un futur désirable !”
Pour écouter l’épisode, c’est par
ICI.

Transition énergétique, décarbonation de nos industries, efficacité, la sobriété... depuis 18 mois ces mots tournent en boucle dans les médias et dans le débat public. Beaucoup de bruit avec des faits, des chiffres dans tous les sens... 

C’est ce brouillard qui nous a donné envie de mieux comprendre, d’avoir un regard neutre et exhaustif sur le sujet de l’énergie. Pour cela, nous avons l’invité parfait!

Aujourd’hui nous accueillons Maxence Cordiez, ingénieur et auteur du livre Énergies - fake or not ?

Dans ce podcast, on s’intéresse ensemble à :

  1. Qu’est-ce que l’énergie ? 

  2. Pourquoi notre société est aussi dépendante de l’énergie ?

  3. La transition énergétique, est-elle possible en Europe ? Et dans le monde ?

Maxence nous partage aussi sa vision pour réussir un transition énergétique : une transition choisie et conçue.

C’est parti !

*** 

Marie (M) : Bonjour Maxence, bienvenue au micro de “Dessine-moi un futur désirable”

Maxence Cordiez (MC) : Bonjour Marie, merci pour l'invitation.

(M) : Maxence, tu es ingénieur, tu travailles pour une organisation de recherche publique spécialisée dans l'énergie et tu publies assez régulièrement des articles sur les liens entre énergie, changement climatique et écologie. Donc sans grande surprise, ensemble, on va parler de l'énergie. Première question : Maxence, qu'est-ce que l'énergie ?

(MC) : Alors c'est une bonne question, et on peut difficilement parler d'énergie avant d'avoir défini le terme, donc merci pour cette question-là. En fait, l'énergie c'est une grandeur physique. C'est ce qui permet, en physique, de quantifier un potentiel de transformation. C'est à dire que dans l'univers, quand tout n'est pas parfaitement froid et immobile, il y a des transferts énergétiques, et ces transferts énergétiques vont quantifier le changement. Donc, dès que quelque chose change de température, change de vitesse, change de composition chimique ou atomique, change d'altitude sur la planète ; en gros dès qu'il se passe quelque chose, il y a des transferts énergétiques. Et plus le transfert énergétique est important, plus le changement est important. L'énergie, on peut la trouver sous différentes formes, ça peut être de l'énergie mécanique ; l'énergie mécanique, c'est du mouvement ou un potentiel de mouvement, par exemple de l'eau dans un dans un lac en hauteur, elle a une énergie potentielle, alors elle ne bouge pas, mais par contre, si on ouvre une vanne, et bien elle va tomber - et donc là elle a un potentiel de mouvement. Ça, c'est l'énergie mécanique. L'énergie thermique, c’est sous forme de chaleur. L'énergie chimique, qui lie les atomes dans les molécules, et l'énergie atomique nucléaire, qui lie les nucléons au sein des atomes et qui assure leur cohésion. Et enfin l'énergie électromagnétique : ce sont les rayonnements du soleil, l'électricité et cetera. Et donc on peut trouver cette énergie sous ses différentes formes, et elle peut se convertir d'une forme à l’autre.

(M) : OK, très clair. Et donc parmi ces 4 énergies que tu viens de citer, on les trouve toutes à la surface du globe. On parle d'une grande dépendance à ces énergies. Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi ?

(MC) : En fait, si on remonte à la nature même de l'énergie : l’énergie, c'est ce qui quantifie un potentiel de transformation. Et quand on relie ça à nos préoccupations humaines, qu’est-ce que ce qu'on cherche à faire en fait tous les jours ? C'est modifier notre environnement pour le rendre plus confortable et plus sûr. Donc à l'origine, il y a quelques siècles ou millénaires, c'était pour assurer notre subsistance et notre protection physique, et plus ça va, plus ça a été pour assurer un certain niveau de confort. Donc en fait, pour modifier notre environnement, ce qui nous a limité pendant l'essentiel de notre histoire, c'est l'accès à l'énergie mécanique. C'est-à-dire que si l’on veut faire des outils par exemple, ou des objets, admettons qu'on veuille faire une chaise en bois, et bien il va falloir aller dans une forêt, couper un arbre, transporter l'arbre, débiter l'arbre en en planche, clouer ces planches et puis en faire une chaise. Si on fait ça avec ses bras, ça va prendre beaucoup de temps et à la fin la chaise aura beaucoup de valeur, et on ne va pas en produire beaucoup. Et si on fait ça avec des machines, des tronçonneuses, qu'on transporte les troncs par des camions et qu’on transforme les troncs en chaise dans des usines, on pourra en faire beaucoup plus et la valeur de la chaise va être bien plus faible.

En fait, au cours de l'histoire de de l'humanité, on a eu accès pendant très longtemps, globalement, qu’à l’énergie humaine et animale, la force humaine et animale. C'est-à-dire que la superficie de champ qu'on pouvait cultiver était limitée soit par ce qu'on pouvait faire avec ses mains, soit avec les quelques animaux qu'on peut contrôler, mais une personne seule ne va pas pouvoir contrôler 500 bœufs par exemple, donc on était limité comme ça. Au tournant des années 1000 en Europe, on a commencé à développer massivement des moulins à vent et à eau, alors surtout pour des applications agricoles : faire de la farine. Mais aussi à quelques applications proto industrielles.

(M) : Là, tu fais référence notamment à l'Angleterre, les Pays-Bas ?

(MC) : Angleterre, Pays-Bas, et puis finalement toute l'Europe ; à partir des années 1000, ça s'est vraiment développé de façon très significative, et ça, ça a permis de libérer des bras, d'avoir un grossissement de la taille des villes, un développement de l'artisanat, une amélioration des conditions de vie, mais ça restait malgré tout très limité. En fait, ce qui a vraiment déclenché le début de l'enrichissement de la population, de l'amélioration très significative de nos conditions de vie et un certain nombre d'acquis sociaux, c'est le développement d'une machine inventée au XVIIIe siècle : la machine à vapeur.

La machine à vapeur est tout à fait est fondamentalement. Qu'est-ce que c'est ? C'est une machine qui convertit de l'énergie thermique, qui est abondante -il suffit de brûler tout et n'importe quoi : du bois, du charbon, du pétrole- en énergie mécanique. Donc on avait de l'énergie mécanique qui était très limitée -en gros, ce qu'on peut faire avec nos muscles- et à partir du XVIIIe, surtout XIXe siècle, on peut avoir accès à des quantités très significatives d'énergie mécanique en allant piocher dans de l'énergie thermique. Donc, d'abord, ce sont des machines à vapeur, au bois et au charbon lubrifié avec du pétrole, ensuite au pétrole, qui commence à être utilisé au début XXe du fait des guerres mondiales -évidemment dans l'aviation. C'est quand même plus facile de faire voler des des avions avec des carburants liquides qu'avec du charbon. Et dans la Marine aussi, l'un des apports de Churchill pendant la guerre, c'était de convertir la Royal Navy du charbon au pétrole pour avoir un avantage militaire, parce que le pétrole est plus dense énergétiquement, donc ça permettait d'avoir des navires qui avaient des meilleures performances.

Et après le gaz, le nucléaire, les nouvelles énergies renouvelables. Mais finalement aujourd’hui, notre système énergétique repose encore essentiellement au niveau mondial, comme français sur les combustibles fossiles.

(M) : Est-ce que tu as le pourcentage à nous partager -de cette dépendance ?

(MC) : Tout à fait. Au niveau mondial, 80% de l'énergie consommée est d'origine fossile. Et en France, c'est 60%. Alors au niveau mondial, la première source d'énergie utilisée, c'est le pétrole, ensuite le charbon, ensuite le gaz. Et en France, c'est le pétrole et le gaz. Et alors peut-être un point de vocabulaire : combustible fossile, ça ne veut pas dire combustible épuisable. Les combustibles fossiles sont certes épuisables, mais ça ne veut pas dire épuisable : les combustibles fossiles sont des combustibles carbonés, issus du vivant, donc ce sont des fougères, des planctons, qui ont vécu il y a plusieurs dizaines voire il y a plusieurs centaines de millions d'années, qui ont sédimenté, qui ont été recouverts et du fait des conditions de pression et de température élevées, cette matière organique s'est lentement convertie en hydrocarbures. Alors plus c'est long, plus ça fait de la matière solide -les hydrocarbures. Les chaînes carbonées les plus longues, ça fait du charbon, et puis après, si c'est un peu moins long, ça va faire du bitume, du pétrole, voire du gaz. Et donc ça, ce sont des combustibles fossiles : tourbe, pétrole, charbon, gaz.

L'uranium par exemple, ce n'est pas un combustible fossile, c'est un métal. Pareil, le titane, le tungstène, et cetera. Tout est limité sur terre, mais tout n’est pas forcément limitant.

(M) : Tu peux expliquer la nuance ?

(MC) : Oui. C'est une nuance qui est vraiment importante : le fer, par exemple, c'est l'un des éléments les plus abondants dans la croûte terrestre, et le fer est limité -il n’y a pas une quantité infinie de fer sur Terre évidemment. Par contre, le fer n'est absolument pas limitant parce que il y en a énormément. Et en fait dans ce qui limite notre activité économique, il y a d'autres composants qui vont eux être limitants.

Typiquement, comme j'expliquais tout à l'heure, ce qui fait tourner les machines et qui nous permet de produire tous les biens et les services, c'est de l'énergie et parmi l'énergie, le pétrole est la première source d'énergie, donc le pétrole a vraiment ce côté limitant. C'est-à-dire que si y a moins de y a moins de pétrole, on a moins d'activité économique parce qu'on fera tourner moins de machines. Il y a certains métaux aussi qui peuvent être limitants parce que nos économies ont une très forte dépendance à ces métaux -je pense par exemple au cuivre. Mais par contre tout ce qui est limité n'est pas forcément limitant.

(M) : OK, effectivement je pense que c'est plus clair. Pourquoi est-ce que le pétrole, finalement, s'est imposé et plus largement les énergies fossiles comme les énergies principales qu'on utilise ? Pourquoi est-ce qu'elles sont, entre guillemets, si bien ?

(MC) : C'est une très bonne question. En fait, il y a 3 éléments de réponse : un, elles sont très concentrées, c'est-à-dire qu’il y a beaucoup d'énergie dans un kilo de pétrole ou un un kilo de charbon, ou 1L de pétrole si on veut. Deux, elles ont une fonction de stock intégré, c'est-à-dire que si tu extrais un kilo de charbon, tu peux le garder une heure, une semaine ou un mois dans ton garage et l'utiliser quand tu veux. Quand on avait des chaudières à charbon ou même des chaudières à fioul, on remplit la citerne de fioul une fois par an et puis après on le garde et on l'utilise quand on veut. Pareil pour le gaz : même si c'est un petit peu plus compliqué à stocker, ça se stocke quand même très bien. Donc : dense énergétiquement, capacité de stock et c'est facile à extraire.

Alors de moins en moins avec le temps qui passe, mais ça reste quand même assez facile à récupérer. En fait, c’est ce qu'on appelle le taux de retour énergétique, c'est à dire l'énergie récupérée sur l'énergie investie pour la récupérer -parce que si on veut aller chercher du pétrole, il ne suffit pas d'aller tout nu dans le désert saoudien : il va falloir investir de l'énergie pour forer, pour construire des derricks, des oléoducs, et cetera. Donc, on investit de l'énergie et ensuite on en récupère. Et ce qui est intéressant, c'est le ratio entre l'énergie qu'on a investi et l'énergie qu'on récupère. Et en fait historiquement, sur les combustibles fossiles, ces ratios-là étaient très élevés, c'est-à-dire qu’il fallait investir peu d'énergie pour en récupérer beaucoup.

(M) : Est-ce que tu as un ratio appareil à nous partager ?

(MC) : Alors si on regarde sur le pétrole par exemple, à l'origine de l'industrie pétrolière aux États-Unis, le taux de retour énergétique était de 1 pour 1000, c'est-à-dire que quand on investissait un baril, on en récupérait mille. Donc ça, c'est ce que tu peux voir si tu regardes le film “The Will Be Blood”.

(M) : Je ne l’ai pas vu...

(MC) : Et bien je le conseille à tous les auditeurs ; ça se passe au XIXe siècle, aux États-Unis. C'est vraiment le début de l'industrie pétrolière. On voit que ce n’est pas une industrie. En fait, ce sont des prospecteurs qui vont avec leur chemise à carreaux et leurs bretelles au milieu de la Pennsylvanie, ils forent avec des choses qui ressemblent un peu à des barres à mines un peu n'importe où ; bon plutôt à proximité des cours d'eau. Mais là ils tombent sur ce qu'on appelle des guchers : ce sont des gisements de pétrole très proches du sol, donc quand on perce dans le gisement, il y a le pétrole qui jaillit. Ensuite ils récupèrent ça, alors, tant bien que mal car il y avait énormément de pollution. Et donc, c'était très facile d'aller récupérer le pétrole à cette époque-là.

Ensuite, il a fallu essayer de comprendre où étaient les gisements de pétrole pour essayer d'éviter de forer vraiment au petit bonheur la chance. Il a fallu forer de plus en plus profondément, puis en mer peu profond, puis en mer de plus en plus profond. Aujourd'hui, ce qu'on va exploiter c'est surtout les nouveaux gisements, qui sont en mer ultra profonds, donc plusieurs kilomètres d'eau et de terre. Donc ce sont vraiment des gisements extrêmes très compliqués à explorer. Et le taux de retour énergétique diminue, c'est-à-dire que sur le pétrole conventionnel –et je définirai après ce que c’est- là où on était à 1 pour 1000 États-Unis au XIXe siècle, aujourd’hui dans le désert saoudien, on est à 1%, on investit un, on récupère 100. En 2013, en moyenne mondiale, on était à 1 pour 20. Et aujourd'hui en moyenne mondiale, on est à 1 pour 10 ou 1 pour 15, c'est-à-dire que plus le temps avance, plus il faut investir d'énergie pour en récupérer.

(M) : Et plus ça nous coûte cher, quelque part.

(MC) : Exactement. Si je formule ça différemment, c’est-à-dire que si tu remplaces un baril de pétrole d'un vieux gisement qui s'épuise, qui a été mis en service il y a 30 ans par exemple, par un baril de pétrole d'un nouveau gisement, en fait tu es en déclin énergétique, parce que celui du nouveau gisement t'aura demandé plus d'énergie pour aller le chercher que celui de de l'ancien gisement.

Donc si tu veux avoir un flux en énergie nette constant, en fait c'est ça qui t'intéresse. Dans l’industrie pétrolière par exemple, ce qui nous intéresse ce n’est pas l’énergie qui sert à aller chercher le pétrole, mais l'énergie nette qu'on va en tirer pour faire tourner des voitures, des avions, produire des plastiques, et cetera. Donc si on veut garder un flux en énergie nette constant, en volume de pétrole, il faut en extraire de plus en plus.

Et j'ai dit que je préciserai ce qui est conventionnel, non conventionnel : le pétrole conventionnel, c'est du pétrole qui est piégé dans une roche réservoir suffisamment perméable pour qu'il puisse circuler dans cette roche. C'est-à-dire que si on force dans la roche, du fait de la pression interne -parce qu’il y a toujours du pétrole et du gaz à la fois- le pétrole va remonter tout seul. Donc ça, c'est ce qu'on appelle le pétrole conventionnel. Après il y a d'autres pétroles dit non conventionnels qui ne sont pas dans cette situation-là. Par exemple, il y a les pétroles dits de réservoirs compacts, les fameux pétroles de schiste américains. Eux sont dans une roche qui est trop peu perméable pour qu'ils puissent circuler -donc si on fort, il ne se passe rien.

(M) : C’est-à-dire qu'ils sont sous forme solide ?

(MC) : Non, c'est du pétrole liquide, mais il est dans une roche qui est fermée ; en fait les pores de la roche ne communiquent pas entre eux, ou peu. Et donc si on fore, il ne se passe rien ! Le pétrole ne va pas remonter tout seul et donc si on veut le récupérer, il va falloir fracturer la roche pour créer de la perméabilité entre les pores -on fracture en injectant de l'eau sous pression, maintenir la roche ouverte en injectant du sable -et pas n'importe quel sable en plus- et des solvants pour fluidifier le pétrole, pour aider à le récupérer.

Alors ça permet de récupérer le pétrole, mais le problème c'est que ce sont des puits qui s'épuisent très vite. Par exemple, un puits de pétrole conventionnel perd entre 4 et 6% de production tous les ans, alors qu’un puits de pétrole de réservoir compact perd jusqu'à 70% de la production à l'issue de la première année. Donc en fait, si on veut garder une production stable, il faut forer en permanence. Or, ça paraît évident. Ce qui coûte cher dans la, dans l'industrie pétrolière, ce n'est pas de regarder un puits foré qui produit, c'est de forer. Donc en fait, ça, ça a été l'une des grosses difficultés. Déjà, il faut forer beaucoup plus, et en plus il faut fracturer, ce qu’on n'a pas besoin de faire dans l'industrie pétrolière conventionnelle. Il y a aussi des choses qui ne sont pas des pétroles, pour le coup, mais qu'on peut transformer en pétrole.

(M) : Donc j’imagine avec un taux de rendement économique encore plus faible par rapport au conventionnel, pas vrai ?

(MC) : Encore plus faible, voilà. Alors sur les réservoirs compacts, en 2013, on avait un taux de retour énergétique de 1 pour 7, et grâce au progrès technologique, aujourd'hui, on est plutôt aux alentours de 1 pour 30. Donc maintenant le pétrole de schiste a un meilleur taux de retour énergétique que les nouveaux gisements de conventionnel. Il y a d'autres choses encore dans les non-conventionnels : par exemple y a les sables bitumineux, pas mal exploités au Canada. Ça, ça ressemble globalement à une marée noire : c'est du bitume mélangé à du sable. Le bitume, ce n'est pas du pétrole : c'est un truc solide, extrêmement visqueux. Avec un entraînement à la vapeur, on sépare le sable et le bitume et ensuite, soit on mélange le bitume à des coupes pétrolières très légères pour faire un pétrole intermédiaire, soit on va casser ces hydrocarbures pour raccourcir les chaînes carbonées, pour faire du pétrole de synthèse.

En gros, c'est ce que faisaient les Allemands pendant la guerre à partir de charbon. Sauf qu’eux partaient d'un peu plus loin : le charbon, c'est les chaînes carbonées qui sont encore un petit peu plus long que le bitume et donc avec de l'hydrogène, on peut casser les chaînes carbonées et faire des carburants de synthèse liquides ou gazeux. Donc, c'est ce que faisaient les Allemands pour faire voler leurs avions, rouler leur voiture pendant la guerre parce qu'eux avaient beaucoup de charbon, mais pas de pétrole, ce qui était vraiment le grosse contrainte d'ailleurs des Allemands pendant la 2e Guerre mondiale. D'ailleurs, pour l'anecdote, toute l'offensive qui mène jusqu'à la bataille de Stalingrad en fait, c’est parce que les Allemands voulaient récupérer les gisements de pétrole de Bakou, parce qu'ils avaient vraiment un besoin impérieux de pétrole.

Et donc on peut le faire aussi avec des bitumes. Alors là le taux de retour énergétique est de 1 pour 4 ou pour 5 donc il faut investir énormément d'énergie pour en récupérer peu.

(M) : OK, donc finalement ce que tu nous dis c'est qu'il n'existe pas un pétrole mais différents pétroles, et que on a un taux de retour énergétique de plus en plus faible, donc on se rend bien compte que on va être dans des situations assez compliquées à l’avenir.

Tu nous as parlé des difficultés d'extraction, j'imagine aussi qu'il y a des impacts sur la biodiversité. Donc première question : quels sont ces impacts ?

Aussi, dans ce que tu dis, j'ai l'impression que finalement, on a besoin d'autres sources d'énergie pour produire de l'énergie. Est-ce qu'il y a des corrélations entre certaines énergies, par exemple “on ne va pas pouvoir extraire tel type d'énergie sans une autre” ? Quels sont les grandes dépendances ?

(MC) : Ce sont des bonnes questions. Alors, avant de répondre à ces questions, là j'avais parlé des origines des pétroles ; après, juste pour rebondir sur ce que tu disais, il y a effectivement aussi plein de types de pétrole. En fait, dans chaque gisement, il y a des pétroles différents, qui sont plus ou moins visqueux, plus ou moins chargés en soufre, avec des compositions chimiques différentes, et qui vont permettre de faire des choses assez différentes. Donc effectivement, il n'y a pas vraiment qu'un seul pétrole. Il y a une quantité pléthorique de pétroles différents, avec des origines différentes.

Sur la biodiversité, alors c'est un sujet qui est extrêmement vaste. Alors déjà, peut-être commencer par un impact systémique. En fait, il y a un lien fort entre la consommation d'énergie et les impacts sur la biodiversité du fait de l'artificialisation des sols et des modifications de l'environnement. Si on revient à la nature de l'énergie -l'énergie, c'est ce qui permet de quantifier un potentiel de transformation. Vu que nous, on cherche à consommer de plus en plus d'énergie pour modifier de plus en plus notre environnement pour produire des choses, en fait, la modification de l'environnement, c'est une contrainte qui est à la fois voulue mais qui a des conséquences aussi non voulues, et notamment sur les milieux de vie.

Admettons même qu'on ait une sorte de pétrole magique qui n'émet pas de gaz à effet de serre et qui soit très facile d'accès et illimité : ça résoudrait le problème du réchauffement climatique, mais ça permettrait de continuer à faire croître les villes, avoir de plus en plus d'autoroutes, artificialiser les sols, et donc intrinsèquement, quelle que soit la source d'énergie, plus on consomme d'énergie, plus on va avoir tendance à exercer une pression sur la biodiversité. Après, selon les sources d'énergie, il peut y avoir des pressions supplémentaires sur la biodiversité. Typiquement, les combustibles fossiles vont participer à l'acidification et l’eutrophisation des eaux, ce qui va jouer sur la biodiversité marine. Par exemple, l'acidification des eaux joue sur les planctons et sur les coraux. Or les planctons sont la base de la chaîne alimentaire dans l'océan. Donc ça a des conséquences ensuite en chaine.

(M) : Oui, ça perturbe toute la chaîne alimentaire.

(MC) : Voilà. Pareil, les mines à ciel ouvert de charbon, par exemple, ont des conséquences en termes d'artificialisation des sols. Quand on parle de zones parfois sinistrées -quand il y a un accident industriel ou des choses comme ça, ça n'a rien à voir avec les mines à ciel ouvert : il n'y a pas un brin d'herbe, la biodiversité est complètement détruite sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés.

(M) : Oui je me souviens d'ailleurs y a quelques semaines, j'ai pas mal vu tourner sur les réseaux sociaux les photos de la mine de charbon en Allemagne, qui était pas mal sous le feu des projecteurs.

(MC) : Garzweiler ?

(M) : Je pense que c’est celle-ci effectivement, et c'était effectivement assez impressionnant, de voir d'une part l'expansion, et d’autre part, à quel point effectivement le territoire était totalement neutre en biodiversité.

(MC) : À Garzweiler en Allemagne, c’est une mine de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, de plusieurs centaines de mètres de profondeur et donc la terre est à nu. Ça me permet aussi quand même de revenir sur un des avantages des combustibles fossiles, c'est que, à part les mines à ciel ouvert, l'essentiel de l'extraction se fait en sous-sol, donc c'est quelque chose qui a peu d'impact en termes d'emprise au sol à la surface.

(M) : OK, mais on ne va quand même pas trop pouvoir utiliser l'espace dans lequel on fait les forages ; on a quand même un espace qui est limité non ?

(MC) : Certes, mais par rapport à la quantité d'énergie, quand on a un puits de pétrole, ça prend très peu de place à la surface. La difficulté qu'on va avoir en sortant des combustibles fossiles - et c'est quelque chose à avoir à l'esprit, c'est que si on veut remplacer ça par des sources d'énergie alternative -et là, je mets vraiment toutes les autres sources d'énergie alternative de dedans, ça va nécessiter beaucoup plus d'espace. Par exemple la biomasse, et donc notamment le bois, les agrocarburants et cetera, ça prend énormément d'espace. Ce qui a sauvé les forêts européennes, c'est le charbon, parce que quand on a commencé à utiliser du charbon, et bien on a arrêté de couper les arbres pour les forêts européennes. De la même façon que le pétrole a sauvé les baleines parce qu'on utilisait la graisse de baleine pour s'éclairer.

Et donc il va falloir faire très attention en sortant des combustibles fossiles, à ne pas reporter ces pressions-là par ailleurs. C'est-à-dire qu’il ne va pas falloir raser les forêts pour faire de la biomasse, et il ne va pas falloir raser les forêts pour planter des palmiers à huile -pour faire de l'huile de palme qui sert surtout à faire des agrocarburants -plus de la moitié de l'huile de palme consommée en Europe, elle ne sert pas à faire du nutella. En effet, l'agroalimentaire est un gros consommateur d'huile de palme, mais l'essentiel de la la consommation d'huile de palme, c’est pour faire du biodiesel et des agrocarburants.

Et donc la question qui se pose derrière en fait, ça va être aussi celle de nos usages de l'énergie pour pouvoir les rationaliser, voire les rationner pour réduire cette pression. En fait, on va devoir passer de sources d'énergie qui ont des inconvénients surtout sur le climat et aussi sur la pollution de l'air, mais aussi des avantages - très concentré, très facile à utiliser, peu d'impact au sol, à d'autres sources d'énergie qui ont pas mal de limites, et qui ont aussi des inconvénients en termes d'emprise au sol. Et donc ça va nécessiter de revoir tout notre système énergétique, indépendamment du fait que même si on ne se préoccupait pas de la biodiversité, les alternatives aux fossiles n'ont pas la capacité de remplacer les combustibles fossiles parce qu'elles ne rendent pas le même service.

Encore une fois, le pétrole, c'est extrêmement pratique : dans 1L de pétrole, il y a beaucoup d'énergie, il est stockable, et cetera. L'électricité, sur laquelle on va beaucoup compter pour décarboner nos sociétés, est très pratique pour certains trucs : ça permet de transporter de l'énergie instantanément sur de longues distances –et ça, c'est super pratique. Par contre, c'est très difficile à stocker. Plusieurs moyens de production de l'électricité dépendent de l'environnement : l'électricité solaire dépend de l'ensoleillement, l'électricité éolienne dépend du vent. Donc ça ne produit pas le même type de service que notamment le pétrole, et le pétrole sera très difficile à remplacer dans bon nombre d'usages.

(M) : Donc ce que tu nous dis en en substance, c'est que la transition énergétique, ce n'est finalement pas une mince affaire.

Et selon toi, aujourd'hui, face à cet empilement énergétique -puisque on parle de transition, mais j'ai le sentiment qu'on n'a jamais vraiment commencé à la faire quand on regarde les consommations à l'échelle mondiale, on a plutôt un empilement entre la biomasse, l'éolien qui se rajoute et j'en passe- concrètement, qu'est-ce qui bloque ? Est-ce que c'est justement ce que tu soulignais, le fait que finalement, ces énergies alternatives, elles ont plein de contraintes par rapport au pétrole qui lui était très pratique ? Est-ce que c'est ça qui bloque ou il y a d'autres choses selon toi ?

(MC) : Alors déjà, sur les transitions, je suis à la fois d'accord et pas d'accord. Des transitions, il y en a eu plusieurs au cours du temps. Par exemple, ce qui s'est passé au XIXe siècle, c'est vraiment une transition énergétique : c'est-à-dire qu'on a toujours continué à consommer de la biomasse, mais par contre on a vraiment rajouté des sources d'énergie qui faisaient des choses qu'on ne pouvait pas faire avant.

(M) : Donc on a eu de nouveaux usages ?

(MC) : Voilà. Il y a eu des transitions énergétiques de passage d'une énergie à une autre, par exemple en France, dans les années 70 : quand on a développé massivement le parc nucléaire, on a remplacé le charbon dans la production d'électricité et le pétrole par du nucléaire.

En Angleterre, au Royaume-Uni, dans les 10 dernières années, en 2012, il devait y avoir à peu près encore 40% de charbon dans le bouquet électrique britannique. Aujourd'hui, ils doivent être aux alentours de 1%, voire moins, donc ils sont quasiment totalement sortis du charbon. Ils ont réduit aussi sur les 20 dernières années leur consommation de gaz. Ils ont développé fortement l'éolien, surtout en mer, donc il peut y avoir des transitions à l'échelle locale, même si elles ne sont pas complètes. Enfin, la première source d'énergie utilisée au Royaume-Uni et en France, ça reste encore le pétrole.

Après, effectivement, au niveau mondial, toutes les sources d'énergie jusqu'à présent se sont additionnées, et même le charbon a continué à croître, le pétrole a continué à croître, le gaz aussi... La source d'énergie qui a le plus augmenté entre 2000 et 2010 au niveau mondial, c'est le charbon.

(M) : Est-ce que c'est dû à notamment la croissance de la Chine ?

(MC) : Oui. Le charbon en Chine entre 2000 et 2010, et le gaz depuis, notamment tiré par aussi par la Chine. Et j'ai oublié la deuxième partie de ta question.

(M) : La 2e partie de ma question, c'était finalement, qu'est-ce qui bloque en fait ?

(MC) : Ce qui bloque à mon ce sens, c'est que le principal déterminant de nos politiques, ce sont des questions économiques et les questions économiques impliquent un usage prioritaire des sources d'énergie les plus faciles à utiliser, les moins coûteuses. C'est-à-dire que, par exemple, si tu veux qu'une industrie soit la plus compétitive possible, tu vas chercher à lui faire utiliser la source d'énergie la moins chère possible et pas celle qui a le moins de d'impacts environnementaux. Et si tu veux qu'elle soit la plus compétitive possible, a priori, il va falloir qu'elle produise le plus possible. Donc tu ne vas pas non plus chercher à réduire la consommation des gens en disant “bah voilà, en fait, on va plutôt essayer de faire durer les produits, de les rendre réparables, de promouvoir la 2nde vie des produits”

La tendance à plutôt été, à l'inverse, à soutenir des approches d'obsolescence programmée, ce qui permet d'accélérer les cycles d'innovation et d'avoir une compétition acharnée entre des entreprises. Ceci a permis d'avoir accès à des technologies de pointe très rapidement, mais a un impact significatif sur la consommation de matière et sur l'environnement. Donc en fait, si on veut changer cette approche-là, je pense qu'il va falloir déjà commencer à penser un peu plus à long terme, à internaliser dans nos réflexions des contraintes environnementales, c'est-à-dire : certes utiliser du gaz et du pétrole qui coûte pas cher aujourd'hui, ça donne un avantage de court terme, mais à long terme ? On détruit notre milieu de vie. Donc on va le payer très cher à long terme.

(M) : Et on sait aussi que ça va coûter de plus en plus cher d'en extraire.

(MC) : Voilà. Et même de façon plus intéressée, réaliser que même s'ils sont très abondants, les combustibles fossiles sont aussi limités, surtout pour le pétrole. Ils sont de plus en plus difficiles d'accès et pour le gaz, c'est aussi vrai pour l'Europe. Ce n'est pas vrai au niveau mondial, mais c'est vrai pour le pour l'Europe.

Et donc si on ne fait pas l'effort de se sevrer de ces combustibles fossiles, on va s'en sevrer de façon forcée. C'est ce qu'on a vu là -pas pour des raisons géologiques mais pour des raisons géopolitiques, avec la crise énergétique ces 2 dernières années. Si on revient un peu là-dessus, l'Europe est en déclin depuis une vingtaine d'années sur ces extractions gazières. Et là je mets la Norvège dedans hein, donc c'est à dire Europe géographique, on est en déclin dans les extractions gazières.

(M) : C'est qui les principaux pays producteurs de gaz en Europe ?

(MC) : C'est la Norvège. Ensuite, c'est les Pays-Bas et le Royaume-Uni, mais surtout la Norvège.

La Norvège, ses extractions déclinent depuis 2017. Elles devraient se stabiliser là parce qu'ils ont pas mal réinvesti jusqu'en 2030, et après le déclin de devrait reprendre. Les Pays-Bas, Ils avaient un gros gisement à Groningue qui n'est pas épuisé, mais du fait de l'épuisement de la déplétion du gisement, la pression interne diminue, ça entraîne des séismes et donc ils arrêtent de d'utiliser le gisement parce que ça présente un danger pour la population.

Donc on a en déclin sur nos attractions. De fait, si on a une consommation qui se maintient, qu'est-ce qu’il faut faire ?

(M) : Bonne question !

(MC) : Et bien il faut apporter davantage. Donc globalement, il y a 2 sources possibles : la Russie, qui a des capacités de croissance d'extraction assez importantes.

(M) : Et qui reste assez proche de nous géographiquement.

(MC) : Et qui reste assez proche de nous pour nous en transmettre, c'est ça.

Et le GNL. Le GNL, c'est le gaz naturel liquéfié. En effet, il y a 2 moyens de transporter du gaz : le gazoduc –tuyau, et le GNL. Donc le GNL : on cryogénise le gaz à -161°C, on le liquéfie, on le transporte par navire, on le regazéifie et on l'injecte dans le réseau de gaz.

L'avantage du GNL, c'est que ça permet d'acheter du gaz à des pays qui sont trop éloignés pour pouvoir nous livrer par gazoduc. Typiquement si on va acheter du gaz de schiste américain -ce qu'on fait actuellement, on le transporte par bateau.

Le problème, c'est qu'autant quand on a investi dans un gazoduc, un gazoduc, ça coûte cher, donc le producteur et le consommateur, une fois qu'ils ont investi dans le gazoduc, ils ont tout intérêt à l'utiliser -et de toute façon, vu que c'est un tuyau, ceux qui ne sont pas sur le tuyau ne peuvent pas acheter du gaz- donc le producteur et le consommateur se tiennent.

Par contre, quand par exemple les États-Unis ou la Russie investit dans un terminal de liquéfaction de gaz, une fois qu'ils ont investi dans cette infrastructure qui coûte cher aussi, ils ont tout intérêt à le vendre au plus offrant. Or, les plus offrants, jusqu'en 2021, c'était la Chine. Parce que bon, enfin, c’est notamment dû à la structuration de ces contrats qui sont indexés sur le pétrole, alors que nous ils sont indexés sur le marché spot du gaz -mais peu importe.

Donc en fait ce qu'on constate, c'est que la Chine drainait le marché du GL avec des contrats de long terme. Et donc là, pendant la crise énergétique, la Russie a instrumentalisé le levier du gaz en nous coupant le gaz -parce que ce n’est pas l'Europe qui a arrêté d'acheter du gaz à la Russie, c'est vraiment la Russie qui a coupé le gaz à l'Europe. D'ailleurs, il y a des éléments géopolitiques intéressants là-dessus. L'Europe a dû acheter davantage de gaz un peu partout dans le monde, notamment du GNL –et donc le GNL russe et américain en partie, celui-ci ne nous a pas été vendu par les Russes et les Américains, mais par la Chine, qui nous a revendu du gaz qu'elle même avait acheté pas cher. Donc : elle avait acheté du gaz pas cher via des contrats de long terme. Là, l'Europe était prête à payer des prix complètement délirants. Donc la Chine, qui en plus étaient politique 0 COVID -donc avec une économie qui stagnait un peu- s'est dit : “bon bah voilà, je fais tourner un peu plus mes centrales à charbon, je revends ce gaz à l'Europe qui est prête à le payer très cher, et voilà”.

Sauf qu’on ne sera pas capable de payer du gaz à ce prix-là pendant plusieurs années, et en plus la consommation va repartir en Chine. Donc sur le GNL, on reste en compétition avec les autres pays consommateurs.

(M) : J'ai juste envie de rebondir sur ce point. Si on remonte à l'hiver dernier, on nous prédisait une augmentation très forte des coûts de l'énergie. On l'a eue, et on nous prédisait aussi des coupures d'électricité. Je ne sais pas si tu as vu, mais notamment des JT avaient instauré un indicateur qui permettait de voir à quel point on avait assez d'électricité ou pas.

Finalement, on n'en a pas eu. Est-ce que ce que tu décris là -cet achat massif de GNL à la Chine- a finalement permis de, on va dire, passer l'hiver sans coupure ?

(MC) : Alors oui, mais ce n’est pas suffisant. En fait, les achats massifs de GNL ont permis d'aborder l'hiver avec des stocks pleins -parce qu'en Europe, on consomme surtout du gaz en hiver pour se chauffer, on l'importe toute l'année, on le stocke l'été et on l'utilise l'hiver. Et donc là, face à la coupure des livraisons de gaz russe -on en a quand même pas mal importé au printemps dernier mais après on a dû apporter du GNL pour remplir les stocks- ça a permis d'aborder l'hiver avec le stock plein.

Mais en fait, ce qui a aussi permis de passer l'hiver de façon sereine, c'est que l'hiver a été très chaud. Donc la demande de chauffage était beaucoup plus faible. Ensuite, ce qui préoccupait, c'était les indisponibilités nucléaires en France parce qu'il y a eu un problème de corrosion sous contrainte détectée dans plusieurs réacteurs. Donc, au moment où on a le plus besoin du parc nucléaire, c'est un moment où -pas de chance, il est particulièrement indisponible du fait d'un problème générique.

Heureusement, EDF a réussi à ne pas trop mal gérer ce problème-là et a réussi à tenir à peu près ses prédictions de disponibilité pour l'hiver.

Donc en fait, il y a eu tous ces paramètres-là qui ont permis de passer l’hiver sans coupure. Par contre, les prix de l'électricité et du gaz ont été très élevés et ça, ça a entraîné des destructions de demandes, notamment chez les industriels. C'est-à-dire qu’il y a des industriels qui ont réduit leur consommation ou ont mis la clé sous la porte... ce qui est aussi permis de passer l'hiver sans coupure, mais au prix de perte industrielle.

(M) : Oui OK...

Je ne sais plus, Maxence, où on s'était arrêté avec toutes ces digressions ; est-ce que tu avais des choses peut-être à nous partager sur des enjeux géopolitiques intéressants entre la Russie et l'Europe ?

(MC) : Oui, parce que, bon, il y a pas mal de gens, notamment sur les réseaux sociaux, qui ont tendance à réécrire l'histoire en disant que non, ce n'est pas la Russie qui a coupé le gaz, c'est l'Europe. En fait, non. Ça, c'est vraiment faux.

Si on remonte vraiment dans le temps jusque début 2020, l'Europe commence à se confiner à cause du COVID. Il y a moins d'activités, on consomme moins de gaz. La Russie nous en vend moins, jusque là il n’y a pas de problème. Mais à l'été 2021, l'économie repart, et là, l'Union européenne veut de nouveau acheter davantage de gaz à la Russie.

Et là, la Russie botte en touche. D'abord, elle doit remplir ses stocks de gaz. Ensuite, elle n’arrive pas à extraire davantage. En septembre 2020, ils font même du chantage au démarrage de Nord Stream 21, gazoduc qui a été construit mais jamais mis en service, en disant “on vous vendra davantage de gaz si vous mettez en service ce gazoduc entre l'Allemagne et la Russie en parallèle”. Je rappelle : le début de l'invasion de de l'Ukraine, c'est février 2022. Là, on est en 2021, donc 8 mois avant le début de l'invasion de l'Ukraine.

(M) : Et pourquoi ce gazoduc n'a-t-il jamais été mis en service ?

(MC) : Et bien justement, parce qu'il y a plusieurs préoccupations de la part de certains États européens et des États-Unis. Il y avait la préoccupation vis-à-vis d'une dépendance sans cesse croissante à la Russie, parce que les extractions gazières européennes déclinent, donc en fait, l'Europe s'est rendue de plus en plus dépendante à la Russie.

Sous l'impulsion notamment de certains États, Allemagne en tête, qui voyaient dans la Russie un partenaire qui a effectivement des grosses capacités d'exportation du gaz, de gaz pas cher s'est dit “Bon, il faudra quand même réduire, voire sortir du charbon. Par contre le gars ça on le garde durablement”. En plus, l'Allemagne, la priorité de sa transition énergétique, c'est de sortir du nucléaire. Plus tardivement, le climat devenant incontournable, elle a voulu sortir du charbon.

Donc il y avait vraiment cette volonté de de garder une dépendance durable au gaz, en plus des renouvelables, dans un contexte où l'Europe en extrait de moins en moins. En plus, l'Allemagne se disait : “si on fait des liens avec la Russie, des liens économiques, ça va nous rapprocher et donc ça réduit aussi le risque de tension géopolitique.”

Avec en plus la vision dans le cas de l'Allemagne -bon je digresse un peu, j'espère qu'on ne perdra pas les gens mais il y a différentes visions de la sécurité énergétique en Europe. Si on prend 2 cas très différents, l'Allemagne et la Pologne, la Pologne a une histoire très compliquée avec la Russie, donc sa vision de l'indépendance vis-à-vis de la Russie, c'est d'avoir très peu de liens avec la Russie. C’est-à-dire que pour ne pas être vulnérable vis-à-vis de la Russie, la Pologne ne veut pas acheter de gaz russe, elle ne veut pas avoir de lien avec la Russie ou très peu.

(M) : Donc c'est pour ça qu'elle utilise principalement du charbon.

(MC) : C'est l'une des raisons. L'autre raison, c'est qu'elle a plein de charbon, ça coûte pas cher, et qu'il y a beaucoup d'emplois dans le charbon. Ça fait vivre notamment la région de Silésie ou le charbon est une grosse industrie, mais effectivement, le charbon est vu comme un levier d'indépendance énergétique.

L'Allemagne en revanche a une balance commerciale positive. Donc elle exporte, elle se dit “bon bah déjà j'ai plein d'argent donc j'arriverai toujours à moyenner avec cet argent-là, et en plus, les pays auprès desquels j'exporte sont dépendants de mes exportations. Moi, je suis dépendant de leurs de leurs importations, donc on se tient comme ça.”

Sauf qu'elle a eu tendance à oublier que derrière des euros ou des dollars ou des roubles peuvent se cacher des réalités différentes. Si l'Allemagne cesse de vendre ou la Russie cesse d'acheter des voitures pour la Russie, ce n'est pas dramatique. Enfin, la Russie peut acheter des voitures en Chine, au Japon. Par contre, si la Russie cesse de vendre du gaz à l'Allemagne, l'Allemagne aura beaucoup de mal à remplacer ce gaz. Donc derrière des euros, il peut y avoir des dépendances très différentes. C’est un truc qui a eu tendance à être oublié.

Donc voilà, pour répondre à la question, pourquoi que Stream 2 n'avait pas été mis en en service ? C'est parce qu'il y avait des pressions fortes de la part de certains pays pour pas qu'ils soient mis en service, et en fait il y avait aussi des tensions qui augmentaient entre la Russie et l'Ukraine, et donc il y avait aussi cet aspect-là qui jouait dans la balance.

Toujours est-il que pour revenir aux aspects géopolitiques de l'instrumentalisation du gaz à l'été 2021, donc toujours 8 mois avant le début de la guerre en Ukraine, il y a un certain nombre d'États européens qui avaient sous-traité la gestion de leurs stocks de gaz à la Russie. En France, c'est Storengie, une filiale Engie, qui gère les stocks de gaz sur le territoire français. Mais Allemagne, Pays-Bas et Autriche avait sous-traité la gestion de leur stock à Gazprom. A l'été 2021. Gazprom ne remplit pas les stocks de gaz. Donc déjà, elle se met à préparer une mise sous tension du système gazier européen en ne remplissant pas les stocks, ce qui préparait potentiellement un manque de gaz à l'hiver ou à l'automne. Oui, à l'automne 2021, la Russie réduit encore ses livraisons de gaz à l'Europe via le gazoduc Kamal. Et donc là, la guerre en Ukraine n'a toujours pas commencé mais il y a une première crise du gaz, le prix du gaz s'envole.

Et c'est en février 2022, quand la Russie envahit l'Ukraine, qu’elle rouvre les robinets du gaz et donc en fait, ça, c'était un moyen de dire à l'Europe, “bon, vous avez vu, là dans les derniers mois : un c'est nous qui tenons le robinet du gaz, deux on est prêts à l'actionner. Donc maintenant qu'on a envahi l'Ukraine, on a rouvert le robinet. Si vous êtes sage et que vous ne vous mêlez pas de ce truc-là, vous aurez du gaz. Par contre, si vous vous en mêlez, vous avez vu qu'on est capables de vous couper le gaz.”

(M) : Donc c'était un peu un argument de chantage.

(MC) : Tout à fait. Dans les mois qui ont suivi, l'Europe a aidé l'Ukraine et donc la Russie a quasiment cessé ses livraisons de gaz. Mais cela dit, pendant les premiers mois, on a quand même pu importer pas mal de gaz qui a permis de de remplir en partie les stocks. La difficulté qu'il va y avoir dans les prochaines années, ça va être de réussir à remplir les stocks sans la Russie. Alors pour cet été, ça devrait à priori à aller, parce que là, les stocks sont relativement pleins quand même en Europe -on les a peu vider cet hiver. Par contre, si l'hiver prochain devait être particulièrement froid ou l'hiver d'après, ça peut être assez difficile.

(M) : C'est-à-dire qu'on ne pourra pas continuer éternellement à acheter du GNL à la Chine. Ou je dois dire, aux États-Unis.

(MC) : Oui, alors, il y a plusieurs problèmes. Il y a un risque en volume jusqu'en 2026 : en gros, c'est-à-dire qu'il y a beaucoup de projets de terminaux de liquéfaction et de regazéification qui doivent être mis en service dans les prochaines années, donc d'ici 2026. Si vraiment, la situation ne change pas vis-à-vis de la Russie et qu'on a des hivers froids, il y a un risque en volume après 26. C'est plutôt un risque en prix, en fait, en fonction de la concurrence avec la Chine et les autres pays, notamment d'Asie du Sud-Est, qui consomment du GNL.

C'est-à-dire que si la Chine achète beaucoup de GNL, il y aura une concurrence et il faudra voir qui sera prêt à payer plus cher pour en avoir. Après, ça pose un autre problème : lorsque l'Europe a quand même eu les moyens de payer son GNL cher, il y a eu un phénomène d'éviction. Il y a pas mal de pays émergents qui comptaient sur le GNL pour leur développement, sans trop s'appuyer sur le charbon : Mexique, Pakistan, Asie sud-est en général. Et là, de dernièrement, il y a le gouvernement pakistanais qui a expliqué que déjà, ces pays-là ont fait face à une crise énergétique bien plus grave que la nôtre, c'est-à-dire que eux ont vraiment eu des coupures parce qu'ils n'ont pas pu payer le GNL. Donc là, au Pakistan, le gouvernement a expliqué qu'ils arrêtent de construire des centrales à gaz, ils arrêtent de développer le GNL, et ils vont se concentrer sur le charbon parce que l'Europe tire trop sur le GNL. Et donc y a un vrai risque à ce niveau-là.

(M) : C'est intéressant parce que effectivement ces effets n'ont pas été trop mis sous le feu des projecteurs, notamment dans les médias.

(MC) : Bah ouais, on s'est concentré sur l'Europe.

(M) : Mais c'est, je pense que c'est effectivement important de le souligner et important de voir que quand nous avons acheté tout le marché, si je peux dire, tout ce qu’il y avait comme quantité sur le marché, et bien ça a pénalisé d'autres pays à l'autre bout du monde.

(MC) : Et ça, ça risque de faire ressortir le charbon d’ailleurs.

(M) : Oui, malheureusement.

Toute cette question-là, cette grande digression sur, finalement, la crise énergétique qu'on subit en Europe, elle pose le cadre de la sécurité énergétique. Tu en as un petit peu parlé avec notamment l'Allemagne et la Pologne, qui sont aussi confrontés à ces enjeux-là. Quand on se projette dans les prochaines années pour la France, c'est quoi les grands changements qui s'offrent à nous ? On sait qu'on ne peut pas rester sur les mêmes quantités de fossiles qu'on consomme. C'est quoi les quelques grandes trajectoires qui s'offrent à nous ? On peut parler de scénario.

(MC) : Alors si on parle des grandes contraintes au niveau européen -ça englobe la France dans les années à venir, déjà il y a une contrainte mondiale sur le pétrole, c’est-à-dire qu’on s'attend à un déficit offre-demande potentiellement assez profond dans les années à venir au niveau mondial. Et ça, c'est à la fois TotalEnergies, le gouvernement saoudien, et l'Agence internationale de l'énergie qui le disent.

Dans ses 2 derniers rapports annuels, l'Agence internationale de l'énergie explique que les investissements dans l'amont du secteur pétrolier et gazier, c'est-à-dire exploration-production, sont en phase avec sa trajectoire de neutralité carbone en 2050 : ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que ce que les écosystèmes sont en capacité d'absorber –je ne parle bien que du pétrole et du gaz, pas du charbon, tout en expliquant dans le même paragraphe que les trajectoires de demande ne sont pas du tout alignées avec ça, c'est-à-dire qu’il y a un écart qui va se creuser entre une offre sur le pétrole et le gaz qui sera insuffisante pour répondre à la demande.

Donc, l'Agence internationale de l'énergie, qui se permettait ce trait d'humour dans son avant-dernier rapport annuel : “if the road ahead is paved only with good intentions, it will be a bumpy ride indeed”. Soit si les trajectoires devant nous, entre guillemets de décarbonisation, sont pavées uniquement de bonnes intentions, le voyage va secouer, être chaotique. Il va secouer parce qu’elle explique que pour l'instant, certes, on laisse la production de pétrole et de gaz aller sur une trajectoire déclinante dans les années à venir. Par contre, dans ce cas-là, ça veut dire aussi qu'il faut vraiment se bouger pour assurer la décarbonisation de nos économies, donc par de l'efficacité, de la sobriété et du développement des d'énergies alternatives pour compenser, parce que sinon ça va se faire par la pauvreté, de la pénurie. Donc il y a un problème mondial sur le pétrole.

Il y a un problème européen sur le gaz, certes qui peut s'assouplir si jamais il y a un changement de gouvernement en Russie, un cessez-le-feu avec l'Ukraine, et cetera, mais en gardant à l'esprit que la Russie n'est pas un partenaire fiable. Donc même si on a de nouveau un peu de gaz de Russie, il ne faut absolument pas revenir à notre niveau de dépendance d'avant la guerre, surtout que ça fait des années que la Russie essaie, elle, de réduire sa dépendance à l'Europe. Donc voilà, maintenant que le divorce est consommé, on peut encore se parler mais il faut vraiment faire attention.

Et il y a un autre problème sur le système électrique européen qui est que la plupart des pays d'Europe de l'Ouest ferment ou comptent fermer des capacités pilotables, c'est-à-dire des centrales qui peuvent produire à la demande -surtout des centrales à charbon et aussi des centrales nucléaires, en s'appuyant chacun sur les voisins.

(M) : C'est-à-dire concrètement ? Tu as un exemple à nous partager ?

(MC) : Le Royaume-Uni sort du charbon à d'ici 2024 et va devoir fermer tous ses réacteurs nucléaires sauf un d'ici 2030 pour des raisons de vieillissement, parce qu'ils ont un concept de réacteur un peu particulier à graphite, et le graphite vieillit mal. Alors ils vont construire d'autres mais ça arrivera un peu plus tard.

L'Allemagne sort du nucléaire, donc elle en a fermé beaucoup et il lui en reste à fermer. Elle prévoyait de fermer 14 gigawatts de charbon en 2023 alors qu'elle a prolongé un peu, mais qu'elle compte normalement fermer, et elle a encore du charbon à fermer.

La France a encore des centrales à charbon à fermer.

L'Italie, l'Espagne prévoient de fermer les centrales à charbon et au fioul. L'Espagne prévoit encore de fermer des centrales nucléaires.

Et tous ces pays-là comptent s'appuyer davantage sur les voisins. Mais c'est un peu comme si plusieurs personnes vont restaurants et que tout le monde compte sur le fait que quelqu'un a sa carte pour payer. Si personne ne l'a, ça ne passe pas. Et en fait, il y a les gestionnaires des réseaux - RTE en France, TenneT aux Pays-Bas- qui tirent la sonnette d'alarme depuis quelques années en appelant les pays européens à se coordonner, en disant : “bon voilà, maintenant on est de plus en plus interconnectés, c'est très bien, ça permet d'avoir une solidarité européenne accrue -la France par exemple, on en a abondamment profité cet hiver parce qu'on n’avait, pendant les jours les plus froids, pas suffisamment de capacité de production d'électricité. Mais les interconnexions, ça ne fait pas tout. Encore faut-il qu'il y ait des capacités de production suffisantes en Europe.

(M) : Complètement. Est-ce que là du coup ça veut dire que certains pays ne vont pas avoir assez de capacité pour subvenir à leurs besoins eux-mêmes ?

(MC) : Si, et c'est notamment le cas de la Belgique par exemple. La Belgique, 50% de son électricité vient du nucléaire. Jusqu'à il y a quelques mois, la Belgique prévoyait de fermer complètement le nucléaire à Horizon 2025, de construire un petit peu de gaz et surtout d'importer de l'électricité.

La Belgique, ce n'est pas le pays le plus grand d'Europe, mais c'est un pays quand même relativement peuplé, un pays industriel. Et l'Allemagne, pareil -un statut de gros pays exportateur d'électricité, stabilisateur du réseau en Europe- prévoyait de passer en quelques années à un statut d'importateur et déstabilisateur du réseau, donc ce sont des changements qui vont assez rapidement.

Donc là en fait, il y a ces 3 grands défis auxquels il va falloir faire face dans les années à venir. La France, je pense en a bien conscience maintenant depuis 1 ou 2 ans. Ce n’était pas forcément le cas avant.

(M) : Qu’est-ce qui a favorisé cette prise de conscience selon toi ?

(MC) : Je pense que c'est surtout la crise de l'énergie en 2021. Il y a eu un peu le traumatisme lié à la fermeture de Fessenheim, avec une opposition à laquelle le gouvernement, je pense, ne s'était pas attendu et qui l’a amené à se dire que bon, fermer des réacteurs nucléaires juste pour le plaisir de les fermer alors qu'il n'y a pas de justification de sûreté, ça avait un vrai coût politique. Donc déjà ça, ça a rouvert le débat sur le nucléaire.

Et ensuite l'envol du prix de l'énergie à partir de 2021 a fait prendre conscience d'un certain nombre de dépendances. Et ça a changé vraiment l'approche de l'autonomie stratégique en France et en Europe en général. Et pas que sur l'énergie d'ailleurs, même aussi sur des dépendances stratégiques : les semi-conducteurs par exemple, qu'on utilise un peu partout, hein, dans l'informatique et cetera, on est très dépendants de la Chine et de Taiwan. Et ça c'est aussi une dépendance qui peut nous poser problème. Si demain, dans 6 mois, dans 2 ans, la Chine décide d'envahir Taiwan, on va avoir un certain nombre de problèmes -et pas que sur les semi-conducteurs- vis-à-vis de nos dépendances à la Chine.

Ça pose la question de la réponse qu'on pourra apporter face à une hypothétique invasion si on est extrêmement dépendant. Donc ça, même au niveau européen, la Commission européenne a changé un peu son fusil d'épaule. Jusqu'à il y a assez peu de temps, elle avait une approche ultralibérale et aujourd'hui, on commence à parler de stratégie industrielle, de localisation de chaînes de valeur stratégique en Europe, pas pour vivre en autarcie, évidemment, mais pour avoir une capacité à faire en Europe. Comme ça, si jamais on a une rupture avec un pays hors Europe dont on est dépendant, on a des industries en Europe.

C'est toujours plus facile de faire croître une industrie que de la créer à partir de 0. Donc si on a des usines de batteries, des usines de semi-conducteurs, même si elles ne produisent pas toutes les batteries, tous les semi-conducteurs et cetera qu'on a en Europe, c'est toujours plus facile de les dupliquer. Ou d'augmenter la production que si on n'a rien

(M) : Et du coup, j'ai envie de rebondir sur ce que tu viens de dire. On parle donc d'un besoin de réindustrialisation et de récupérer quelque part la souveraineté sur ce qu'on produit, et de ne plus être dépendants d'autres pays.

Relocaliser, ça veut dire plus de production en France, donc forcément plus d'énergie. Comment finalement peut-on faire pour toujours décroître notre dépendance aux énergies fossiles et à la fois vraiment engager une réindustrialisation forte, tout en gardant en tête l'objectif de neutralité carbone que la France s'est fixée pour 2050 ? Ça me paraît être une équation un peu compliquée, mais je veux bien ton avis là-dessus.

(MC) : Alors c'est une excellente question. Avant de répondre sur la question de l'énergie, sur la réindustrialisation, j'aimerais insister sur le fait que quand on parle de réindustrialisation, il ne s'agit pas d'industrialiser tout et n'importe quoi. Il faut relocaliser des industries ou créer des industries qui soient compatibles avec nos engagements climatiques et les contraintes à venir sur les combustibles fossiles, et sur les matériaux en général. Je m'explique : dans l'automobile, ça veut dire ne pas mettre des usines de Hammer ou même de gros SUV, même électriques en Europe, mais des usines de petits véhicules électriques.

(M) : Oui donc que ça suive les changements d'usage qui vont s'opérer à l'échelle française.

(MC) : Voilà. Donc la réindustrialisation doit passer par des technologies qui soient peu consommatrices et peu dépendantes de combustibles fossiles, et de métaux.

Alors il y a des technologies qui ont intrinsèquement besoin de métaux : une usine qui fait des câbles électriques, évidemment qu’elle va consommer des métaux. Une usine de batterie va consommer des métaux, mais par exemple, si on veut que notre industrie automobile soit pérenne, il faut qu'elle soit peu consommatrice de métaux, donc plutôt faire des petits véhicules électriques plutôt que des gros véhicules électriques.

Ensuite, sur la question énergétique, c'est une bonne question. Il va falloir jouer sur plusieurs tableaux : sur la demande, avec de l'efficacité et de la sobriété. Alors il y a 3 moyens d'économiser de l'énergie : l'efficacité - on garde un service inchangé, mais on consomme moins parce que le système a mieux été conçu. Par exemple, si on isole un bâtiment qui était chauffé à 19°C avant, qu’il est chauffé à 19 après, il consomme moins, mais on a fait un effort. Si on passe d'une voiture diesel qui a 30 ans à une voiture moderne, si elle a exactement les mêmes performances, elle consommera moins, parce que la motorisation fait des progrès. Ça, c'est de l'efficacité.

Si on passe d'un véhicule thermique et électrique, le moteur est plus efficace. On a économisé de l'énergie, donc ça, c'est de l'efficacité.

La sobriété : on accepte à l'échelle individuelle ou collective une concession pour moins consommée. Exemples : interdiction des terrasses chauffées, si on décide de chauffer à 19 plutôt qu'à 22, si on décide de prendre le train plutôt que l'avion, de partir en vacances proche plutôt qu'à l'autre bout du monde, et cetera. Ça c'est de la sobriété.

Et le troisième, c'est la pauvreté. C'est une concession forcée par l'économie, c'est-à-dire la précarité énergétique : quelqu'un qui ne peut pas faire le plein, qui ne peut pas se chauffer, une entreprise qui réduit sa production, qui met la clé sous la porte...

(M) : Qu'on a vu à l'hiver dernier, oui.

(MC) : Voilà.

Dans la stratégie nationale bas carbone française, qui est la feuille de route du gouvernement pour atteindre la neutralité carbone, on s'appuie essentiellement sur des progrès d'efficacité en comptant sur une réduction de 40% de la consommation d'énergie finale par de l'efficacité.

Mais derrière il y a des hypothèses très fortes. Je m'explique : il y a notamment l'hypothèse d'une réussite de nos politiques d'isolation des bâtiments. Et donc ça supposerait qu'en 2050, tous les bâtiments français soient en catégorie A ou B en termes d'efficacité -c'est un peu ambitieux. Parmi les auditeurs, je sais pas combien vivent dans un bâtiment catégorie A ou B mais ça doit être une très faible partie.

En fait il y a ça va être très difficile de passer des passoires thermiques des années 60, 70 en catégorie A ou B. Donc ça veut dire déjà que la demande pour le chauffage sera plus importante -donc il va falloir aussi faire des économies par ailleurs, et c'est là que la sobriété entre en compte.

Si on a des petits véhicules électriques plutôt que des gros, si on prend les transports en commun plutôt que la voiture, et cetera, on va pouvoir faire des économies. Et typiquement, avant de parler des aspects production de d'énergie quand on parle de décarbonisation, il faut vraiment avoir cette vision systémique. Décarboner la mobilité, ce n'est pas juste passer d'un véhicule thermique à électrique -déjà pour des raisons de tension sur les métaux et de coûts des véhicules électriques, on n'y arrivera pas.

En fait, il faut une vision systémique : un de réduction du besoin de mobilité, en jouant sur le télétravail, le tourisme local, l'urbanisme pour rapprocher les lieux de vie, de travail, et de consommation -pour éviter d'avoir des grosses zones résidentielles, où il n’y a aucun commerce, aucun emploi, puis des grosses zones industrielles. Il faut essayer de rapprocher un peu tout ça. ça sera pas du jour au lendemain, mais il faut une réflexion là-dessus.

(M) : Surtout que nos villes et nos espaces se sont aussi beaucoup conçus notamment autour du véhicule individuel. Donc effectivement là c'est quelque part re-transformer complètement ce modem, qui fonctionne en forme de système comme tu le disais.

(MC) : Tout à fait. Et ça, ça se fait notamment à l'échelle locale, avec des politiques qui ne sont pas forcément conscients de ces enjeux là et qui ont des préoccupations qui peuvent être un peu éloignées des enjeux énergétiques et environnementaux, et qui n’ont pas forcément non plus les connaissances pour s'approprier ça.

Donc ce n’est pas un sujet qui sera simple mais en tout cas il va falloir jouer sur la demande. Il va falloir jouer aussi sur les mobilités alternatives, transport en commun, pieds, vélo, avec des solutions différentes. Évidemment, ce qui est valable dans le 5e arrondissement de Paris ne sera pas valable au milieu de la Beauce -mais il y a des solutions qui sont valables à certains endroits, qu’il va falloir développer.

Sur la consommation énergétique aux passager-kilomètre. Je m'explique : réduire par exemple la masse des véhicules, que ce soit les voitures, les poids lourds, et cetera, améliorer leur aérodynamisme -ça veut dire lutter contre les SUV. Mais pour les camions, c'est pareil : si les camions ont une forme différente aux États-Unis et en Europe, c'est parce que les normes ne sont pas les mêmes. Et il y a des contraintes, notamment sur la longueur des poids lourds en Europe, qui font que les poids lourds ressemblent à des parpaings -et donc en termes d'aérodynamisme, on peut difficilement faire pire. Donc via des normes, on pourrait essayer d'améliorer l'aérodynamisme pour réduire la consommation des poids lourds.

Améliorer aussi les taux de remplissage, via du co-voiturage, -donc ça, c'est un troisième volet.

Premier volet : réduire la demande.

Deuxième volet : mobilité alternative.

Troisième volet : améliorer l'efficacité.

Et quatrième volet : changer le vecteur énergétique, c'est-à-dire passer du pétrole à l'électricité ou au biogaz pour les navires. Mais ça, c'est que l'un des aspects d'une approche plus systémique de décarbonisation de la mobilité et en fait, cette approche systémique, il faut l'avoir dans tous les secteurs, que ce soit l'industrie, le chauffage, et cetera.

Et maintenant, pour finir de répondre à tes questions sur l'aspect production d'énergie, il va falloir développer toutes les sources d'énergie alternative aux combustibles fossiles -en faisant évidemment attention à la façon dont on les développe. Alors pour une bonne partie, ça va être des sources d'énergie électrique, parce que l'électricité, c'est le vecteur énergétique le plus facile à décarboner. Mais il n’y aura pas que de l'électricité, il y aura aussi de la chaleur bas carbone, que ce soit du biogaz, de la chaleur de récupération industrielle, de la géothermie, des carburants liquides bas carbone aussi qu'on va pouvoir produire soit avec des résidus agricoles, des huiles de récupération. Ou éventuellement des carburants de synthèse : ça, ça aura un rôle à jouer, mais sans se leurrer sur le cout de ces carburants et le gisement disponible. Ce sont des carburants qui vont rester rares et chers donc il ne faut pas se dire “demain, il y a l'avion vert donc on peut continuer à faire croître le trafic Paris-Barcelone à 15€.” -Non.

Le “carburant aviation durable” : ce qu'on appelle carburant aviation durable, sont des carburants qu'on peut faire à partir des huiles usagées, des carburants qu’on peut faire à partir d'électricité, et cetera, et de carbone de récupération.

On peut le faire ; par contre, en termes de gisements de carbone vraiment durable, d'électricité bas carbone, et en termes de coûts, ça va rester très limité. Donc pour décarboner les derniers vols -il y aura toujours en 2070-2080 parce qu'il y a toujours des diplomates, des familles éclatées entre différents pays du monde - oui, il faut développer ça pour décarboner ces vols-là mais ça ne peut pas servir d'argument pour évacuer la question.

C’est-à-dire que dans l'aviation, pour pouvoir décarboner l'aviation avec ces carburants-là, ça veut dire qu'il va falloir recentrer l’aviation sur le long courrier -parce que pour le court et moyencourrier, il y a des alternatives, notamment le train-, donc supprimer l'aviation pour ça, et renforcer le train avec train de nuit, le TGV de nuit, et cetera. Et sur le long courrier, réduire le trafic. Et donc ça veut dire que les gens se déplaceront globalement moins.

Je voulais parler en priorité de la, de la chaleur et des carburants non fossiles parce qu'on parle beaucoup d'électricité. Maintenant, je vais parler d'électricité.

(M) : Oui.

(MC) : Dans l'électricité, il va falloir développer toutes les sources d'énergie alternatives aux centrales fossiles, c'est-à-dire le nucléaire, l'éolien, le solaire - l'hydroélectricité n'a plus vraiment de de potentiel mais par contre il y a du potentiel pour transformer des centrale hydrauliques en STEP (stations de transfert d'énergie par pompage). Ça permet de stocker de l'électricité. Donc en gros, un barrage de lac, actuellement, il y a un lac en haut, un barrage et quand on a besoin d'électricité, on fait passer de l'eau dans le barrage et ça produit de l'électricité. On peut rajouter un lac en aval qui permettra de garder de l'eau et donc quand on a trop d'électricité, on pompe de l'eau, qu'il y a dans le lac en aval pour la remettre en amont.

Et ça, ça permet de de stocker de l'électricité. Il y a un rendement d'à peu près 80%, et c'est le moyen de stockage le plus répandu au niveau mondial et c'est, c'est le seul qui, pour l'instant, permet de stocker beaucoup d'électricité.

(M) : Ok donc pour ça faudrait, il faudrait en implémenter plus sur les barrages qu'on peut trouver en France ?

(MC) : Voilà. Alors techniquement, il y a un potentiel assez important en France. Les grandes questions, ça va être : un, il y a plusieurs contraintes industrielles et réglementaire. Pour investir là-dedans, il faut une visibilité de long terme sur les barrages. Donc si EDF ou la compagnie nationale du Rhône, et cetera, enfin, les entreprises qui exploitent les barrages n'ont pas de visibilité à long terme sur les concessions, et bien elles n’investiront pas, parce qu'elles ne vont pas faire des investissements massifs si c'est pour perdre la concession 3 ans après. Donc là, il y a un sujet au niveau européen.

Il y a un sujet économique : si le prix de l'électricité ne coûte pas cher -ce qui était le cas jusqu'en 2020- et si il n'y a pas de valeur qui est donnée au service de flexibilité, il y a aucun intérêt à investir là-dedans - à investir pour optimiser la consommation d'un truc qui coûte rien, personne ne va le faire ; donc il faut soit s'assurer que l'électricité coûte cher, soit s'assurer qu'il y a une valeur donnée à la flexibilité pour avoir un mécanisme de soutien qui permette de rendre cette opération rentable pour l'exploitant des barrages.

Et ensuite, il y a une question d'acceptabilité qui, à mon sens, est majeure - et ça on n'a aucune certitude là-dessus. Est-ce que les gens accepteront la création d'un lac en altitude ou non ? Quand on voit tous les débats qu'il y a sur les barrages - par exemple le barrage de Sivens, qui a fait couler beaucoup d'encre là dernièrement... il y a une vraie incertitude entre le potentiel technique et ce qu'on peut faire en réalité. En gros, il va falloir y aller, présenter le projet, en discuter avec les populations pour voir si on peut en faire beaucoup, un petit peu ou pas du tout ; et donc ça va, il va falloir le voir.

Et donc sur les énergies nucléaires, éoliennes solaires, RTE - le réseau de transport d'électricité - a publié une étude très poussée en 2021 où ils montrent que si on veut se passer d'une source d'énergie - alors, ils ont étudié le nucléaire mais ils auraient pu faire la même chose avec l'éolien en mer ou l'éolien terre ou le photovoltaic - en tirant toutes les autres sources d'énergie au maximum, voire au-delà du maximum, sur le papier, ça passe, mais en fait, ça amène des scénarios très peu probables, très peu crédibles en termes d'acceptabilité, en termes industriels, et cetera.

Et donc, même si on développe toutes les sources d'énergie bas carbone, ça va mener à des trajectoires qui seront très ambitieuses dans toutes ces filières-là, et en plus il va falloir se redonner des marges. Parce que comme on l'a vu sur les trajectoires d'isolation des bâtiments par exemple, a priori, il est probable qu'on ne les tienne pas. Sur l'éolien à terre, et bien il est possible qu'on n'arrive pas à faire autant qu'on a prévu parce qu'il y a une opposition qui est de plus en plus forte sur le nucléaire. Il est possible qu'on n'arrive pas à faire autant que prévu parce que il y a des contraintes industrielles. Sur les STEP dont on a parlées. Il est possible que la population n'accepte strictement rien dans ces scénarios-là. Il y a aussi de la flexibilisation de la demande, c'est-à-dire avoir des consommations qui soient décalées dans le temps ; bah ça, peut-être que la population n'acceptera pas.

Donc en fait, il y a des inconnues. Et donc pour s'assurer que nos trajectoires de décarbonisation n'échouent pas si certaines trajectoires ne fonctionnent pas – sur l'éolien nucléaire, la flexibilisation des usagés et cetera -, il va falloir aller plus loin. Alors déjà, ne pas éliminer une trajectoire, parce que si on commence à dire je veux pas de la sobriété parce que il ne faut pas que je fasse un effort, je veux pas des éoliennes parce que c'est moche, je veux pas des réacteurs nucléaires parce que ça me fait peur, je ne veux pas de biogaz parce que ça pue et cetera... Bah à la fin, on ne s'en sortira pas.

Donc ne pas éliminer l'une ou l’autre des solutions et au contraire aller plus loin dans ce que ces scénarios-là proposent dans chacune des filières.

En fait, ces scénarios-là, c'est une option a minima, c'est-à-dire que si tout se passe bien, le scénario tourne et le système fonctionne. Mais en fait, dans le monde réel, ce n'est pas comme ça et il faut se redonner des marges. Donc il faut faire plus de photovoltaïque que prévu, plus d'éoliens, notamment en mer, plus de nucléaire et cetera pour se redonner des marges.

(M) : Et est-ce que justement aujourd'hui, les politiques qui sont mises en place à l'échelle française sont, dans cette logique de “on se laisse plus de marge” ou est-ce que finalement, comme tule présentais très bien, on suit des scénarios ?

(MC) : C'est une bonne question ; alors on suit pas exactement un scénario. La trajectoire qui a été annoncée par le président dans son discours de Belfort, c'est-à-dire, de mémoire, ça devait être 40 gigawatts d'éolien en terre, 40 gigawatts d'éolien en mer, et je crois 100 gigawatts de solaire photovoltaïque, 14 EPR, ça s'appuie plus ou moins sur l'un des scénarios de RTE mais un peu modifié. Je suis pas sûr que ça donne beaucoup de marge, surtout que en fait, il manque pas mal de d'éléments qu’il y a dans les scénarios de RTE ; c’est-à-dire par exemple sur la flexibilisation de la demande. Ça ne dit rien sur les steps : pour l'instant, il y a aucune visibilité là-dessus. Ça ne dit rien sur les services réseaux rendus par les véhicules électriques (ça on pourra en reparler après). Donc : c'est difficile de dire si le gouvernement envisage ou non des marges. Pour l'instant, je ne suis absolument pas sûr, je ne dirais pas ça.

(M) : Ok.

(MC) : Par contre, là, c'est une première étape. Disons que le débat est en train de se rationaliser au niveau national, alors qu’il y a encore 2 ans, on n'était pas du tout là-dessus. On était à jouer à une guéguerre nucléaire / renouvelable, c'est-à-dire : on baisse la part du nucléaire pour augmenter les renouvelables, et on laisse les fossiles tranquilles pour des motifs purement politiques.

Il y a 2 ans, on a rationalisé le débat. Là, maintenant, l'objectif c'est de réussir à réduire significativement puis à sortir des combustibles fossiles, en jouant sur tous les tous les leviers. Et on commence même à parler de la sobriété, même si ça, ça reste encore un peu chaotique, des fois dans certaines annonces.

(M) : Au fait, j'ai entendu aussi dans les discours cet hiver effectivement : le un petit mix entre efficacité et sobriété parfois.

(MC) : Ouais, là-dessus il y a encore souvent des confusions. Mais ça, ça doit être salué. Après et il reste encore énormément à faire. Et même dans le discours, c'est à dire que côté production, le discours c'est rationalisé, il y a plein de sujets qui restent encore à aborder, notamment dans le stockage d'énergie. Ça, c'est un sujet majeur. Les STEP : encore une fois, si on ce sont des chantiers de long terme avec des grosses composantes d'acceptabilité. Donc si on veut qu’il y ait des choses qui émergent et si on veut savoir jusqu’où on peut aller, c'est maintenant qu'il faut lancer le débat.

Pareil sur les services réseau rendu par les véhicules électriques. Ça, c'est un sujet qui est important actuellement. On va développer des véhicules électriques pour décarboner la mobilité. Là, le niveau 0 du véhicule électrique, qui est le pire pour le réseau, c'est “on branche la charge donc vraiment on tient pas du tout compte de l'état du réseau ; on charge quand on veut. Ça, ça risque de déstabiliser le réseau.

(M) : Juste une question, est-ce que tu peux clarifier pourquoi ça risque de déstabiliser le réseau ? C'est quand tout le monde branche sans faire attention et qu’on a une explosion de la demande ?

(MC) : C'est ça. Si on fait ça de façon bête et méchante, les gens rentrent tous chez eux à 17-18 h, ils branchent ; ça fait un appel de puissance pendant le pic de demande de 19h et donc là, ça déséquilibre le réseau.

Une première approche assez rudimentaire, mais qui permet quand même de bien améliorer les choses, c'est de de charger en heures creuses, donc, notamment pendant la nuit ou pour ceux qui ont l’option, des fois aussi le midi. Ça, ça va déjà soulager le réseau.

Ensuite on peut aller un niveau au-delà : ce sont des charges sur signal réseau. C'est-à-dire que le consommateur dit “je veux que à 08h du mat’ ma batterie soit chargée à 30%” et après c'est le réseau qui va décider dans la nuit à quel moment le charger de façon optimale. Et là, on rend un service supplémentaire au réseau.

Et vraiment le niveau ultime c'est ce qu'on appelle soit le Vehicle-to-GRID ou Vehicle-to-home. C'est le véhicule qui peut rendre de l'électricité, soit au réseau, soit à la maison. Donc, par exemple, le consommateur se branche à 17h, il lui reste 60% de batterie. Le véhicule va donner de l'électricité soit au réseau, soit à sa maison pour aider à passer le pic de 19h ; la batterie va tomber par exemple à 50% ou 45% - doncil ne s'agit pas de la décharger complètement, ça va jouer sur quelques pourcents, mais ça va permettre de soulager en profondeur le réseau et après elle va se recharger pendant la nuit.

L'intérêt, ce serait que le consommateur paie son électricité moins cher. En fait, qu'il y ait un gain économique à à rendre ce service au réseau. Cela dit, si on veut que ce genre de service puisse émerger, il faut un que les bornes de recharge qui soient installées permettent ce genre de choses - or actuellement, on installe les bornes de recharge bêtes et méchantes qui ne font que du monodirectionnel. Et ensuite qu'on donne une incitation économique à avoir ce genre de système, donc soit qu'on laisse le l'électricité très cher parce que pas forcément une bonne chose pour d'autres raisons, soit qu'on donne une incitation économique à ce service de flexibilité. Mais en tout cas actuellement, ces services de flexibilité de vehicule to GRID sont inclus dans les scénarios de décarbonisation, mais ils ne vont pas émerger d'eux même par l'opération du Saint-Esprit.

Donc si on veut qu'ils émergent, il va falloir le faire. Et si on attend de voir ce qui se passe en 2045, il sera trop tard parce que on aura équipé toute l'Europe avec des bornes de recharge bêtes et méchantes, mono-directionnelles. Donc ça, ce sont des choses qu'il faut anticiper.

(M) : Typiquement, selon toi, quel acteur devrait ou aurait tout intérêt à s'emparer de de ces bornes ?

(MC) : Alors, il y a plein d'acteurs qui ont des intérêts à s'en emparer : les constructeurs automobiles. En fait, les constructeurs automobiles vont perdre de la valeur avec l'électrification de la mobilité parce qu'une voiture électrique, c'est très simple. En fait, il y a peu de pièces mobiles, il y a peu d'usure - contrairement à un moteur, il y a peu d'encrassement, et donc il y a peu d'entretien. Donc les constructeurs auront peu de services après-vente à fournir, de pièces à fournir. L'essentiel de la valeur, c'est la batterie, et la batterie ce ne sont pas les constructeurs qui la fabriquent souvent. Donc un relais d'activités pour eux, ça va être de gérer les données associées à la batterie pour notamment rendre ces services réseaux.

Donc les constructeurs ont un intérêt à développer ce genre de service. Les gestionnaires de réseaux, type RTE et cetera ont un intérêt évident parce que eux, ça va leur permettre de stabiliser le réseau.

Le consommateur, il peut avoir un intérêt mais qui pour l'instant n'est pas évident, ça va dépendre de la façon dont on gère le truc pour qu'il ait un intérêt économique à le faire. Mais par contre là il va falloir que les pouvoirs publics se saisissent du sujet pour justement assurer un, la faisabilité technique du truc, donc notamment avec des normes sur les bornes pour que les bornes puissent permettre ça et deux, en assurant une valeur au service de flexibilité pour qu'il y ait un intérêt à. À faire ce genre de choses.

(M) : Ok donc effectivement on sent que pour assurer notre production énergétique dans quelques années c'est pas simplement l'histoire d'un changement d'énergie, ça recoupe énormément de changements d'usage à toutes les échelles. Et finalement, ça implique tous les acteurs et dans ce que tu dis : en fait, plusieurs acteurs peuvent y avoir aussi un intérêt économique, donc ça peut être aussi effectivement une source de motivation pour bouger dès maintenant sur des sujets essentiels pour la transition.

J'ai envie de revenir sur un point que tu as mentionné tout à l'heure. Tu disais notamment que face à un enjeu mondial de faire décliner notre demande de pétrole, l'Agence internationale de l'énergie et TotalEnergies se positionnait sur des trajectoires descendantes, qui étaient en phase avec une neutralité carbone à l'échelle mondiale. Question : quand on voit par exemple le président Joe Biden qui donne son accord pour des forages en Alaska, quand on voit le projet Écope de Total en Ouganda... Moi, j'ai l'impression qu'on ne va pas trop dans la bonne direction. Est-ce que, concrètement, ma croyance est vraie ou pas ? Est-ce que l'IAE avait bien intégré le fait d'aller puiser du pétrole en Alaska ? Est-ce que tu peux nous donner peut-être un peu de nuances sur sur ce point ?

(MC) : Alors là les gens parlaient à l'échelle mondiale, pas forcément à l'échelle d'une entreprise. L'envol du prix du pétrole ces deux dernières années va probablement aussi remettre de l'argent dans la machine. Donc, effectivement, ça relance des projets.

Après, il y a 2 visions différentes. En fait, Total, c'est une entreprise. Une entreprise, ça ne fait pas de la politique énergétique : c'est un outil qui a pour but de valoriser ses actifs et de faire des bénéfices. Ce n'est pas immoral, c'est amoral. Donc en fait, tant qu'il y a un marché, ils vont dessus ; et donc eux ils se disent “bah voilà, il y a une demande qui est là, il y a une demande qui va rester. Donc moi mon boulot c'est de répondre à cette demande-là dans le pétrole, donc j'en produis.”

En fait, la question, c'est comment est-ce qu'on va se sevrer des combustibles fossiles ? Est-ce qu'on préfère le faire par de la pénurie ou est-ce qu'on préfère le faire par de la demande, c'est à dire par un manque d'offre ou par un manque de demande ? Et là, c'est une question qui est vraiment loin d'être simple.

Ma position personnelle, c'est que c'est évidemment mieux de le faire en faisant décliner la demande parce que ça veut dire qu’on le fait de façon arbitrée, organisée, choisie, en préservant le cœur des services rendus par les combustibles fossiles. Par exemple, si on. On se dit “Bah demain en Europe on n'a pas le droit de vendre un véhicule qui consomme plus de 5 l au 100” et c'est mieux de faire des économies de pétrole comme ça que si c'est le prix du baril qui s'envole et que les gens avec les revenus les moins élevés ne peuvent plus faire le plein ou plus se chauffer.

Mais de fait, pour l'instant, les politiques sont insuffisantes pour faire diminuer significativement la consommation de pétrole et en fait, elle continue d'augmenter au niveau mondial. Donc se pose la question aussi : est-ce qu'il faut malgré tout continuer à investir dans le pétrole ou non ? Les entreprises, généralement continuent d'investir. Alors celles qui investissent le plus sont pas les majors comme TotalEnergie, BP et cetera. Ce sont plutôt les compagnies nationales, ça veut dire Aramco, Rosneft et cetera, qui ont les les plus grosses réserves.

Il y a toujours des investissements, mais il faut tenir compte du fait que de toute façon, il y a un déclin naturel des gisements de pétrole. C'est à dire que si on ne met aucun gisement de pétrole en service, mes gros gisements de conventionnels, ils perdent entre 4 et 6% par an. Les petits gisements de conventionnels, ils perdent un petit peu plus et les gisements de schiste, eux, c'est de l'ordre de 70%,. Donc la production décline très rapidement.

Donc en fait. Il y a aussi cet aspect-là. je suis pas en train de défendre les investissements en Alaska et Ecop. Ce que ce que je suis en train d'expliquer, c'est que le fait d'avoir quelques projets comme ça ne contredit pas les assertions de l'Agence internationale de l'énergie disant qu'il y a un déséquilibre croissant entre offre et demande au niveau mondial, c'est-à-dire qu'on a une trajectoire de demande qui reste solidement croissante au niveau mondial.

Certes, il y a des investissements au niveau mondial, mais qui qui sont insuffisants pour répondre à cette demande mondiale. Donc après on peut tirer les conséquences qu'on veut. Soit on peut tirer comme conclusion qu'il faut investir massivement dans le pétrole - et je ne pense pas que c'est une bonne raison, en fait les investissements sont de moins en moins rentables.

(M) : Ouais, ce que t'expliques effectivement au début de ce podcast.

(MC) : Voilà. Et c'est aussi l'une des raisons pour lesquelles les les compagnies pétrolières investissent de moins en moins, c'est à dire que un investissement dans l'exploration, vu que on découvre de moins en moins, il faut investir de plus en plus pour maintenir les découvertes. Et donc vu que ces investissements sont de moins en moins rentables, les compagnies investissent de moins en moins.

(M) : Mais ça, c'est une bonne nouvelle.

(MC) : Ouais. Donc, voilà, ça c'est un cercle vicieux pour la production, vertueux pour le climat. Et donc ça, ça oblige à s'interroger sur la demande.

En fait, la meilleure approche, ce serait de se dire bon, voilà, on a une production de pétrole, un approvisionnement, qui va décliner, donc maintenant il faut vraiment se bouger pour réduire notre demande.

(M) : Oui, et donc pour ça j'imagine la sobriété serait une bonne solution à l'échelle mondiale.

(MC) : Alors, la sobriété c'est un élément, c'est pas la totalité de la réponse. Alors c'est un élément incontournable. Par contre, je pense qu'il y a autant de risques à tout miser sur la sobriété qu'avoir une approche complètement techno-solutionniste en se disant les renouvelables ou le nucléaire ou l'hydrogène vont tout solutionner.

La sobriété, il faut avoir conscience qu'il y a un énorme enjeux d'acceptabilité. Tout le monde n'a pas la même vie déjà, n'a pas le même quotidien, n'a pas les mêmes contraintes, n'a pas les mêmes niveaux de compréhension des problématiques environnementales, n'a pas la même capacité à prendre sur soi pour faire des efforts ; et donc, ce qui est acceptable par une personne avec son mode de vie, ses préoccupations n'est pas forcément acceptable par d'autres. Et donc la sobriété, on ne sait pas juste qu'on pourra aller, et en plus y a même pas une seule réponse à ça parce qu’on pourra aller à des niveaux différents selon la façon dont on va le faire.

Si on le fait de façon intelligente, en demandant peu d'efforts aux ménages qui ont peu, ben, on pourra aller probablement plus loin que si on a une vision j’ai envie de dire un peu judéo-chrétienne de la sobriété, où pour que ce soit efficace, il faut que ça fasse mal, et où on va chercher à avoir des choses qui soient bien emblématiques, qui demandent des gros efforts, où là on risque de perdre l'adhésion de la population très rapidement.

Donc en fait, si on veut aller loin dans la sobriété, il faut être astucieux pour que la population le sente le moins possible, et c'est ça qui permettra d'aller loin. Mais on ne peut pas savoir à ce stade jusqu'où on se capable d’aller donc il faut être prudent, de la même façon que sur les technologies il faut être prudent. L'éolien, par exemple, a un rôle évidemment important à jouer dans la décarbonisation, mais on est incapable de dire jusqu'où ira l'acceptabilité de l'éolien en France, en Allemagne et cetera. Donc il faut aussi avoir une certaine prudence dans nos attentes vis-à-vis de ça. Encore plus pour l'hydrogène, l'hydrogène : on n’en a pas parlé, mais...

(M) : C'est vrai qu'on n’en a pas parlé ; tu veux qu'on fasse une digression hydrogène ? Ou peut-être ce qu’on peut faire sinon, c’est un autre podcast où on parlera de l’hydrogène.

(MC) : Ok, on ne parlera pas d’hydrogène dans ce podcast, mais disons que ouais, il n’y a pas un outil miraculeux, on aura vraiment besoin de tous les outils, il faut aller intelligemment sur chaque outil pour essayer d'aller le plus loin possible, mais ne pas avoir son outil miracle. Il n'y a pas d'outil miraculeux, on ne va pas faire 100% de nucléaire, on va pas faire 100% de renouvelable, on ne va pas faire 100% de sobriété. La solution en fait, pour se sortir des fossiles, ça va vraiment être un combo intelligent de tout ça.

(M) : Ouais, effectivement, je partage complètement ton avis. Vraiment très intéressant cet échange Maxence, merci beaucoup.

Quand je t'entends me parler de tout ça, j'ai une question qui m'est venue en tête. C'est : d'où est ce que t'as tiré tout ce savoir ? Donc j'ai dit effectivement en introduction de ce podcast que c'était en partie ton métier, mais qu'est-ce qui a fait que t'as voulu te pencher sur ce sujet plutôt qu'un autre et qui t'anime encore toujours aujourd'hui ?

(MC) : Ce qui m'a amené à me pencher sur ce sujet, c'était les élections de 2017. En fait, la campagne de 2017. À l'époque, je me souviens que je n'étais pas très impliqué en politique, mais que le débat sur l'énergie était de bien mauvaise qualité, alors que c'est quelque chose qui concerne vraiment l'ensemble de la population.

A la fois via le réchauffement climatique qui menace vraiment de notre milieu de vie, la stabilité de nos sociétés, la paix dans le monde. Donc, changement climatique, c'est un problème absolument majeur et notre dépendance aux combustibles fossiles dans un contexte d'épuisement, c'est aussi un problème majeur parce que nos modes de vie, ce qu'on considère comme des acquis sociaux, des acquis économiques, en dépendent largement.

Là, on parle beaucoup des retraites actuellement. Le fait qu'on est qu’un système de retraite, ça découle aussi du fait que on a un système qui produit beaucoup de marges, qui permette de faire vivre des gens qui ne travaillent pas plus parce que ce sont des machines aussi qui font les travaux de force. Et ça, ça dépend aussi de de l'énergie. Donc en fait, il y a plein de choses qu'on considère comme acquises : les congés, les arrêts maladie, l'assurance maladie, et cetera qui dépendent de cette richesse qui découle elle-même de l'approvisionnement énergétique.

Donc ce sujet-là est absolument central pour tout le monde et pas juste pour les gens qui bossent dans l'énergie, mais aussi pour les boulangers, les, les instituteurs, les infirmiers, enfin toutes les professions. Toute, toute, toute, TOUTE la société. Et donc en fait je voulais commencer à expliquer un peu ces problématiques-là. D'abord sur les réseaux sociaux, et puis par des articles, des conférences, des cours en école d'ingénieur... Plus récemment, un bouquin aussi.

Et en fait, en voulant expliquer tout ça, bah ça amène à se renseigner. Alors bon déjà je me suis formé évidemment au travail quand j'étais à l'ambassade de France à Londres au service nucléaire. J’ai été amené à m'intéresser aux politiques énergétiques de façon générale, à voir comment le Royaume-Uni a abordé ces questions-là, qui était assez différentes de la France à l'époque. Donc ça ça, ça permet d'ouvrir un peu les horizons et puis de voir ces choses-là sous un angle systémique, c'est-à-dire pas juste se dire, telle une source d'énergie, c'est bien ou c'est pas bien... mais qu'est-ce qu'on en attend ? Quelles sont ses contraintes industrielles, économiques qu'elle peut fournir ou non ? À quel horizon de temps ce qu'on a des compétences ou non, ce qu'on a l'industrie ou enfin vraiment tous les aspects de ça ?

Et après ben en lisant des rapports, en suivant l'actualité là-dessus en lisant des bouquins... et ça, ça permet aussi de construire une vision qui soit systémique. Et ça je pense que c'est vraiment important quand on parle d'énergie. Pour donner un petit exemple : l'huile de palme, ça contribue à la déforestation. Si on n'a pas une vision systémique, on peut se dire “Ah bah vu que l'huile de palme ça contribue à la déforestation, il faut interdire l'huile de palme”. Le problème si on raisonne comme ça, c’est que l'huile de palme, c'est l'huile avec le plus haut rendement à l'hectare. Donc, si on remplace l'huile de palme parde l'huile de colza, de tournesol, enfin, peu importe, en fait, on aura besoin davantage de surfaces, donc on risque d'aggraver le problème. Alors pas forcément dans les mêmes pays, mais on risque d'aggraver le problème.

Donc ça, c'est un problème de d'absence de vision systémique. Si on veut lutter contre la déforestation liée à l'huile de palme, il faut se poser la question, pourquoi est-ce qu'on utilise l'huile de palme ? Et en fait, c'est parce qu'on utilise de plus en plus d'huiles végétales dans l'alimentation mais aussi pour des usages énergétiques. Et donc là, ça nous amène à des considérations sur la mobilité, par exemple sur les agrocarburant. Bon et donc, si on veut lutter contre la déforestation sur l’huile de palme, il faut se poser la question de l'usage général des huiles végétales. Et donc là c'est tout de suite un autre débat.

(M) : Oui, effectivement, je sens bien le que quand tu soulèves un sujet en fait tu te rends compte de toutes les ramifications qu'il peut y avoir avec d'autres, et j'imagine que ça doit être absolument passionnant quand tu essayes de chercher quelles sont les causes, les conséquences, pourquoi tout ça est lié et comment finalement, on peut l'utiliser de façon désirable. Je comprends que ça t’anime énormément.

(MC) : Et ça, ça amène vraiment une une conclusion extrêmement importante. Je pense qu'il faut vraiment, vraiment se méfier des approches manichéennes dans l'énergie. Le “ça c'est bien, ça c’est pas bien”. Alors c'est un peu frustrant parce que les approches manichéennes, c'est simple. En fait, ça permet facilement s'approprier le sujet, mais souvent c'est pas manichéen et il faut vraiment essayer de comprendre les systèmes auxquels on s'intéresse avant de proposer des choses. Parce que même avec les meilleures volontés du monde, si on ne comprend pas le système qu'on veut réformer, on risque d'aggraver le problème auquel on essaie de répondre. Et ça, c'est quand même vraiment dommage.

(M) : Complètement et merci pour le pour le partage de ce conseil qui, je pense, résonnera beaucoup pour nombreux de nos auditeurs.

On va passer maintenant à notre dernière question. La dernière partie, qui concerne bien évidemment le futur désirable. Donc on a parlé ensemble d énormément d'aspects, hein, sur l'énergie, on a pas mal parlé de enjeux géopolitiques super forts, du fait finalement qu'il n'y a pas de bonne solution, mais des multiples facettes à considérer pour construire le modèle désirable. Donc forcément je te pose cette question : Maxence, quelle est ta vision d'un futur désirable pour l'énergie ?

(MC) : C'est une question complexe.

(M) : Tout le monde me le dit.

(MC) : Là-dessus, j'aimerais dire, c'est un futur entre guillemets qu'on a choisi et pas qu'on a subi, et c'est surtout ça en fait. Si je passe autant de temps à essayer d'expliquer des choses sur l'énergie, sur le climat, c'est justement pour ça. C'est pour éviter qu'on se trouve dans une situation où on subit des chocs coup après coup.

Alors là, c'était le gaz. Clairement, peut-être le pétrole demain. Et en fait, si on si on suit cette trajectoire-là, on refuse d'anticiper des contraintes parce qu'évidemment, ça fait jamais plaisir de v ce oir qu'il y a en face. Mais si on refuse de voir le mur, en fait, on va se le prendre. Et le problème en plus, de l'énergie, c’est que ce sont des systèmes à temps long. Donc, une fois qu'on est dans le mur, on peut pas se rattraper tout de suite. On a le visage qui racle le mur pendant plusieurs années, voire décennies.

Donc il faut vraiment anticiper. Et donc ma vision d'un futur désirable, c'est être capable de se poser collectivement déjà, d'accepter les contraintes sur le climat, sur les disponibilités en fossile, sur les approvisionnements de métaux aussi. Alors ça, on n'en a pas parlé, c'est pas forcément que des programmes, c'est pas forcément des problèmes géologiques. D'ailleurs y a des problèmes d'inertie minière, et cetera, mais il y a aussi des contraintes sur les métaux, sur la biodiversité, sur pas mal de choses, et essayer de d'accepter ces contraintes-là. Essayer de penser collectivement à un futur qui soit désirable. Et alors ça c'est absolument pas à moi de répondre à cette question.

C'est vraiment une réponse qui doit être collective. Chaque peuple d'ailleurs peut avoir une vision différente d'un futur désirable, mais qui soit cohérent avec ces contraintes là et en fait. Que globalement, on soit capable d'anticiper. Pour être capable de faire face à ces contraintes, de préserver ce qui nous semble important. Plutôt que de subir.

(M) : Ouais, dans ce que tu dis, y a vraiment l'idée de réflexion collective, de choix et finalement, à l'échelle peut-être des nations de ce que les pays ont envie de construire à leur échelle.

(MC) : Oui et ça, ça nécessite déjà une bonne information au départ. C'est-à-dire que si on veut être en mesure d'avoir les idées claires et de penser de faire une stratégie qui soit cohérente, il faut déjà être bien informé. On ne peut pas bien répondre à un problème mal posé.

(M) : On arrive à la fin de cet épisode, est-ce que tu veux rajouter quelque chose en guise de conclusion ? Est-ce que t'as un message pour nos auditeurs ?

(MC) : Oui, alors il y en a plusieurs ; pour en donner un, je pense qu'il ne faut pas voir la transition énergétique comme une contrainte. Le but, c'est pas d'embêter les populations. Alors certes, il y aura des contraintes à court terme si on doit acheter une petite voiture plutôt qu'une grosse ou prendre les transports en commun plutôt que la voiture. Effectivement, ça représente une contrainte à court terme, mais le but c'est pas d'embêter la population.

Le but, c'est vraiment de préserver le cœur des services rendus par les combustibles fossiles, face à la double contrainte posée par le réchauffement climatique d'une part, et l'épuisement des combustibles fossiles d'autre. Et donc en fait, si on fait un arbitrage contrairement terme, là, on fera face à beaucoup plus de contraintes. Si on refuse d'anticiper que si on anticipe donc le but, c'est pas d'embêter les gens, évidemment, le but, c'est d'essayer de préserver au contraire ce qui nous semble important.

(M) : Ok. Ce que tu dis c’est qu’il y a de petits efforts à faire aujourd'hui pour moins de gros efforts demain en fait.

(MC) : Voilà. Alors les efforts seront quand même importants aujourd'hui, mais ça évitera de perdre des choses qu'on considère comme fondamentales notre capacité à nous déplacer, des acquis économiques et sociaux, et cetera, demain.

(M) : Ok très bien. Bah écoute, je te remercie Maxence pour ton temps et cet échange et je te dis à bientôt.

(MC) : Merci à toi, je te dis à bientôt à bientôt. Merci beaucoup.

***

(M) : C'est déjà la fin de cet épisode. Merci d'avoir écouté jusqu'au bout ; vous trouverez toutes les références dans la description du podcast et sur le site de StimShift. À très vite dans un prochain épisode !

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